Cet article est paru originalement dans la revue Nutrition – Printemps 2022

Introduction

Dans les dernières décennies, l’évolution des connaissances scientifiques et du contexte social a favorisé l’émergence de controverses sur le poids. Selon Bilodeau et ses collègues, les controverses sont
« la confrontation de diverses interprétations concurrentes sur un même phénomène » (1). Plusieurs personnes et organismes du domaine de la santé, du secteur privé, de la recherche médicale et sociale ainsi que des personnes stigmatisées en raison de leur poids entretiennent les controverses sur le poids. Les diététistes-nutritionnistes, en raison de leur expertise et de leur prise de position publique, sont au cœur de ces controverses. Lorsqu’elles sont prises en considération, les controverses permettent d’améliorer les connaissances et les pratiques1.

  1. La formulation « personnes grosses », revendiquée par certaines personnes luttant contre la stigmatisation associée au poids, est utilisée de manière non péjorative dans ce texte.

Messages clés

  • Les diététistes-nutritionnistes sont au cœur des controverses sur le poids en raison de leur expertise et leur prise de position publique.
  • L’importance de la lutte contre la stigmatisation liée au poids et l’adoption d’un discours centré sur les habitudes de vie favorables à la santé (et non sur le poids) sont des consensus qui se dégagent des controverses.

À la fin des années 1990, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) déclare la survenue d’une « épidémie mondiale d’obésité » (traduction libre) (2). L’obésité constitue un facteur de risque de problèmes de santé, tels que les maladies cardiovasculaires et le diabète de type II (2,3). Ainsi, sa prévention et sa réduction sont devenues des priorités pour certaines instances comme en témoigne le Programme national de santé publique 2015-2025 du Québec (4).

Parallèlement, les normes sociétales véhiculent un idéal de minceur associé à la beauté, à la réussite et à la santé (5,6). La stigmatisation à l’égard du poids qui en résulte est définie comme le rejet et la dévalorisation sociale des personnes dont le poids ne correspond pas à la norme sociale de minceur (7). La stigmatisation liée au poids, à laquelle s’ajoutent souvent des stigmas intersectionnels liés notamment à la santé, à l’identité sociale ou de genre, prend racine dans une structure systémique et soulève des enjeux de justice sociale (8,9). Le maintien d’un poids corporel socialement acceptable est souvent perçu comme une responsabilité individuelle (10,11). Ainsi, il existe de nombreux préjugés envers les personnes grosses qui se voient attribuer des traits de personnalité négatifs (8,9,12). Selon un sondage Léger en mars 2021 auprès d’un échantillon représentatif de la population québécoise pour le compte de l’Association pour la santé publique du Québec (ASPQ), 25 % des répondants estiment que les personnes grosses n’ont pas de volonté et 37 % croient qu’elles ne savent pas se contrôler (13). Par ailleurs, le quart des répondants rapporte avoir été victime de discrimination liée au poids (13). Chez les personnes avec un indice de masse corporelle (IMC) supérieur à 30 kg/m2, cette proportion s’élève à 44 % (13). Or, la stigmatisation liée au poids nuit à la santé physique et mentale, à la qualité et la quantité de soins et services de santé, à la satisfaction corporelle ainsi qu’à l’adoption d’habitudes de vie favorables à la santé (14). Au dire de plusieurs personnes, l’association entre un IMC élevé et certains problèmes de santé est en partie attribuable à la stigmatisation liée au poids (15–17). Aussi, dénoncent-elles la médicalisation du poids qui encourage la commercialisation de traitements et de produits de perte de poids par l’industrie amaigrissante et pharmaceutique (16,18).

D’autres personnes craignent que les discours centrés sur le poids augmentent la préoccupation à l’égard du poids (18,19). Au Québec en 2021, 43 % des hommes et 59 % des femmes sont insatisfaits de leur poids et 62 % des adultes se trouvent trop gros (13). L’insatisfaction corporelle et la préoccupation à l’égard du poids peuvent inciter les gens à recourir à des produits, services ou moyens amaigrissants ou PSMA (20). Or, ces PSMA peuvent susciter un sentiment d’échec répété, une insatisfaction corporelle et entretenir une relation malsaine avec l’alimentation, voire déclencher des troubles de comportements alimentaires (21–23).

Dans ce contexte, l’Association pour la santé publique du Québec (ASPQ) et sa Coalition québécoise sur la problématique du poids (Coalition Poids) ont amorcé en décembre 2020 une démarche réflexive sous la forme du Groupe de travail provincial sur les problématiques du poids (GTPPP). Réunissant près d’une cinquantaine de personnes travaillant en relation d’aide, de spécialistes, d’organismes et de personnes stigmatisées en raison de leur poids, ce groupe de travail intersectoriel vise à repenser le discours sur le poids.

Pour alimenter les réflexions du GTPPP, un projet de maîtrise en santé publique a été réalisé de janvier à avril 2021. Il visait à explorer les controverses sur le poids parmi les diététistes-nutritionnistes au Québec, et ce, dans l’optique de favoriser l’amélioration des pratiques de santé publique. L’objectif n’était pas de faire un portrait exhaustif et représentatif de ces controverses, mais plutôt de donner un aperçu de la situation et de relever les principaux arguments évoqués dans les controverses pour mieux les comprendre.

Objectifs d’apprentissage

Le lectorat sera en mesure de mieux comprendre les controverses sur le poids parmi les diététistes- nutritionnistes, de les situer par rapport aux perceptions de la population générale et d’en analyser les arguments.

Méthodologie

Des entretiens semi-dirigés ont été effectués auprès de huit diététistes-nutritionnistes recrutées à la suite d’un appel lancé à la communauté de diététistes- nutritionnistes sur Facebook et au réseau de partenaires de la Coalition Poids. Deux variables ont été considérées dans le choix de l’échantillon : 1) le champ de pratique (communication, nutrition clinique, recherche et santé publique) ; 2) le nombre d’années d’expérience (entre un et trente ans). Ces critères de sélection ont permis de notamment à explorer les similitudes et les différences dans les opinions des diététistes-nutritionnistes face aux enjeux liés au poids. De plus, un sondage, conçu avec l’outil SurveyMonkey et composé de questions à choix multiples et à court développement, a été effectué auprès des diététistes-nutritionnistes. Il a été revu à la suite des commentaires de l’Ordre des diététistes-nutritionnistes du Québec (ODNQ) et de trois diététistes-nutritionnistes qui ont participé au prétest. L’invitation à remplir le sondage a été envoyée dans l’infolettre de l’ODNQ ainsi que par courriel aux 160 diététistes-nutritionnistes partenaires de la Coalition Poids. L’invitation a également été publiée dans deux groupes privés sur Facebook : « Diplômé.e.s Universitaires en Nutrition » et « diététistes-nutritionnistes anti-régime et HAES® francophones ». Du 2 au 30 mars 2021, 306 diététistes-nutritionnistes ont commencé le sondage, mais 289 y ont répondu entièrement. Toutes les réponses ont été considérées. Parallèlement à ces travaux, l’ASPQ a mandaté la firme de sondage Léger pour mesurer la perception de la population sur différents enjeux liés au poids. Ce sondage a été réalisé du 18 et 27 mars 2021 auprès de 1 500 adultes québécois (13).

Résultats

L’analyse des données qualitatives et quantitatives recueillies auprès des diététistes-nutritionnistes a permis de relever sept controverses interreliées autour du poids. Cette section les présente et compare certains résultats avec les données du sondage auprès de la population générale.

Définition de l’obésité

Les lignes directrices canadiennes de pratique clinique pour l’obésité chez l’adulte, publiées en 2020 par Obésité Canada, caractérisent l’obésité comme une maladie chronique (24). Cette définition ne semble pas faire l’unanimité parmi les diététistes-nutritionnistes. Parmi les répondantes du sondage1, la moitié (53 %) juge que l’obésité est principalement un facteur de risque, le cinquième (21 %) une maladie et le dixième (9 %) considère qu’elle est une caractéristique physique sur laquelle il ne faut pas s’attarder. De plus, l’option « autre » a été sélectionnée par 13 % des répondantes qui devaient alors préciser leur réponse. Leur analyse a permis de dégager cinq grandes catégories de réponses 1) une combinaison de deux ou trois choix de réponses ; 2) une résultante de facteurs hors du contrôle des individus ; 3) une catégorisation selon l’IMC ; 4) une caractéristique physique qu’on ne doit pas mettre au premier plan ; 5) un terme discriminatoire. À titre comparatif, 77 % de recruter des diététistes-nutritionnistes ayant des points de vue différents sur le poids. Les entretiens visaient la population québécoise indiquent que l’obésité est un facteur de risque de maladies et 14 % indiquent qu’il s’agit d’une maladie (13).

Le tableau 1 présente les arguments pour et contre la reconnaissance de l’obésité à titre de maladie qui ont été soulevés par les diététistes-nutritionnistes lors des entrevues et du sondage.

  1. Le terme « répondantes » est utilisé puisque la majorité (98 %) des diététistes-nutritionnistes qui ont complété le sondage sont des femmes.

TABLEAU 1 – Arguments pour et contre la reconnaissance de l’obésité à titre de maladie selon les diététistes-nutritionnistes

Pour

Contre

  • Stigmatisation liée au poids réduite
  • Investissements en santé publique et en recherche justifiés
  • Plaidoyer en santé publique facilité
  • Meilleure prise en charge clinique
  • Plus grande accessibilité du système de santé
  • Stigmatisation liée au poids augmentée
  • Médicalisation du poids corporel
  • Renforcement du stéréotype voulant qu’un poids élevé soit incompatible avec la santé
  • Attention focalisée uniquement sur la perte du poids malgré l’absence de méthodes efficaces à moyen ou long terme
  • Apparition et promotion de méthodes de perte de poids potentiellement dangereuses pour la santé physique et mentale

Contrôlabilité perçue du poids

Selon une version de l’échelle Belief About Obese Persons (25), environ le trois quarts des diététistes-nutritionnistes sondées sont en accord avec les énoncés stipulant qu’une mauvaise alimentation, un manque d’exercice ou un manque de volonté n’expliquent pas le poids des personnes grosses (figure 1). En contrepartie, 63 % de la population croit que la majorité des personnes obèses ont de mauvaises habitudes alimentaires, ce qui explique leur poids (13).

Lors des entrevues, les diététistes-nutritionnistes mentionnent que le poids est influencé par de nombreux facteurs qui ne dépendent pas de la seule volonté. Comme l’indique la figure 2, environ six répondantes sur dix sont en accord avec l’énoncé précisant que « nous avons très peu de contrôle sur notre poids en tant qu’individus ». En revanche, la moitié des répondantes sont en accord avec l’énoncé selon lequel « il est possible de perdre volontairement du poids de manière durable ». Ces résultats soulèvent une certaine contradiction.


FIGURE 1 – Degré d’accord avec des énoncés sur la perception de la contrôlabilité du poids

Totalement d’accord
Plutôt en accord
Plutôt en désaccord
Totalement en désaccord
Je ne sais pas / je préfère ne pas répondre
La plupart des personnes grosses le sont parce qu’elles ne font pas assez d’excercice (%)
1.04
20.42
40.83
35.64
2.08
Les personnes grosses le sont rarement en raison d’un manque de volonté (%)
43.75
32.99
11.81
8.68
2.78
La majorité des personnes grosses ont des mauvaises habitudes alimentaires, ce qui explique leur poids (%)
1.04
24.91
43.25
28.72
2.08

Lors des entrevues, les diététistes-nutritionnistes mentionnent que le poids est influencé par de nombreux facteurs qui ne dépendent pas de la seule volonté. Comme l’indique la figure 2, environ six répondantes sur dix sont en accord avec l’énoncé précisant que « nous avons très peu de contrôle sur notre poids en tant qu’individus ». En revanche, la moitié des répondantes sont en accord avec l’énoncé selon lequel « il est possible de perdre volontairement du poids de manière durable ». Ces résultats soulèvent une certaine contradiction.

Conceptualisation du lien entre le poids et la santé

La majorité des diététistes-nutritionnistes sondées sont en accord avec l’énoncé selon lequel l’obésité augmente le risque de plusieurs maladies chroniques. Environ huit

diététistes-nutritionnistes sondées sur dix estiment que trop d’importance est accordée à l’effet du poids sur la santé. Comme illustré à la figure 3, presque la totalité des diététistes-nutritionnistes sondées (97 %) estime que les personnes grosses peuvent être en bonne santé comparativement à 70 % de la population générale (13). De la même façon, 91 % des diététistes-nutritionnistes sont en accord avec l’énoncé voulant que le poids ne détermine pas la santé, comparativement à 59 % pour la population générale
(13). D’ailleurs, lors des entrevues et dans le sondage, les diététistes-nutritionnistes insistent sur le fait que le poids est l’un des nombreux facteurs qui influencent la santé.


FIGURE 2 – Degré d’accord avec des énoncés sur la perception de la contrôlabilité du poids

Totalement d’accord
Plutôt en accord
Plutôt en désaccord
Totalement en désaccord
Je ne sais pas / je préfère ne pas répondre
Il est possible de perdre volontairement du poids de manière durable (%)
10.38
46.37
29.41
9.69
4.15
Nous avons très peu de contrôle sur notre poids en tant qu’individus (%)
22.15
36.33
33.32
4.84
3.46

FIGURE 3 – Degré d’accord avec des énoncés sur le lien entre le poids et la santé

Totalement d’accord
Plutôt en accord
Plutôt en désaccord
Totalement en désaccord
Je ne sais pas / je préfère ne pas répondre
L’obésité augmente le risque de développer plusieurs maladies chroniques (%)
42.01
44.44
8.68
1.39
3.47
Trop d’importance est accordée à l’effet du poids sur la santé (%)
35.64
41.87
16.26
3.46
2.77
Les personnes grosses peuvent être en bonne santé (%)
61.81
35.07
2.78
0.35
Le poids ne détermine pas si on est en santé ou non (%)
51.21
39.79
7.61
0.35
1.04

Sensibilité à la stigmatisation liée au poids

La majorité des diététistes-nutritionnistes sondées reconnaissent que les personnes grosses sont victimes de stigmatisation liée au poids (95 %). Selon le sondage Léger, 67 % de la population estime que les personnes grosses sont victimes de discrimination (13). Les diététistes-nutritionnistes semblent donc particulièrement sensibles à cet enjeu. De plus, 94 % des diététistes-nutritionnistes sondées appuient le mouvement de dénonciation de la grossophobie.

Des questions ont été soulevées par certaines diététistes- nutritionnistes lors des entrevues. Certaines estiment que les militant.e.s anti-grossophobie ne représentent pas la perception de toutes les personnes grosses, ce qui peut générer de la frustration chez ces dernières. D’autres indiquent qu’il ne faut pas perdre la rigueur scientifique au profit du militantisme, puisqu’une position peu nuancée peut accroître la résistance face au changement du paradigme sur le poids et nuire au dialogue. Finalement, certaines ressentent un malaise lorsque d’autres argumentent que la stigmatisation liée au poids est la principale responsable des problèmes de santé.

Rôle de la santé publique dans les enjeux liés au poids

Le pourcentage des diététistes-nutritionnistes qui considèrent comme importante ou très importante la prévention de l’obésité et la lutte contre la stigmatisation liée au poids est respectivement de 80 % et 92 %. Les arguments évoqués pour appuyer ces positions sont présentés au tableau 2.


TABLEAU 2 – Arguments pour et contre la prévention de l’obésité et la lutte contre la stigmatisation liée au poids selon les diététistes-nutritionnistes

 

Pour

Contre

Prévention de l’obésité

  • La difficulté de perdre du poids justifie l’importance de prévenir l’obésité.
  • La prévention de l’obésité réduit l’incidence des maladies chroniques, ce qui améliore la santé populationnelle et réduit le fardeau pour le système de santé.
  • La hausse de la prévalence de l’obésité, infantile notamment, indique l’urgence d’agir.
  • Les approches et les discours axés sur le poids laissent sous-entendre qu’un poids élevé est synonyme d’une mauvaise santé et que les gens peuvent maîtriser leur poids.
  • Le recours PSMA est néfaste. Ces produits favorisent :
    • les fluctuations pondérales ;
    • la préoccupation excessive envers le poids ;
    • les troubles de comportements alimentaires ;
    • un gain pondéral à long terme.

Lutte contre la stigmatisation liée au poids

  • La stigmatisation à l’égard du poids :
    • nuit à la santé physique et mentale ;
    • réduit l’utilisation des services de santé ;
    • nuit à l’adoption de saines habitudes de vie ;
    • encourage le recours aux PSMA ;
    • favorise les fluctuations pondérales.
  • La banalisation du surplus de poids peut être néfaste en raison des maladies chroniques associées à l’obésité.

Approche professionnelle

Certaines diététistes-nutritionnistes mentionnent qu’il n’est pas éthique de recommander une perte pondérale ou d’adopter un discours axé sur le poids puisqu’il est difficile de maintenir une perte du poids à long terme. Parmi les diététistes-nutritionnistes sondées, 9 % sont plutôt ou totalement en accord avec l’énoncé « j’adopte une approche centrée sur la gestion du poids » et 80 % sont plutôt ou totalement en accord avec l’énoncé « j’adhère à l’approche Health at Every Size® ».

Par ailleurs, d’autres indiquent qu’il faut accompagner les personnes qui souhaitent perdre du poids pour éviter qu’elles recourent aux services ou conseils de personnes non qualifiées. De plus, certaines insistent sur l’importance de respecter l’autonomie et le libre arbitre des personnes.

Discours populationnel sur le poids

Certaines questions du sondage visaient à tester l’acceptabilité des termes utilisés dans les discours liés au poids. Comme l’indique la figure 4, les réponses sont divisées. Revendiquées par certain.e.s militant.e.s anti-grossophobie, l’appellation
« personne grosse » est jugée péjorative par environ la moitié des diététistes-nutritionnistes sondées. Aussi, plus de 40 % des diététistes-nutritionnistes estiment que les termes « obèses » ou « obésité » devraient être évités, comparativement à 19 % de la population générale (13).Pour 88 % des diététistes-nutritionnistes sondées (et 88 % de la population générale), adopter de saines habitudes de vie est plus important qu’avoir un « poids santé ». Plutôt que d’adopter un discours axé sur le poids, plusieurs diététistes-nutritionnistes proposent d’aborder les saines habitudes de vie puisqu’elles profitent à tout le monde indépendamment du poids et qu’elles s’inscrivent dans une approche positive.

Discussion

À notre connaissance, il s’agit de la première démarche d’exploration des controverses liées au poids parmi les diététistes-nutritionnistes au Québec. Bien que cette analyse ne soit ni exhaustive ni représentative des opinions de l’ensemble des diététistes-nutritionnistes du Québec, elle a permis de mieux comprendre les arguments sous-jacents aux controverses. Cette démarche favorise également la réflexivité et le dialogue, essentiels à la pratique de la profession de diététistes-nutritionnistes. Finalement, elle permet de nourrir les réflexions pour encourager une meilleure cohésion des messages populationnels et concerter les efforts vers une vision partagée des enjeux reliés au poids. Il s’agit d’ailleurs des objectifs du GTPPP.

Les données rapportées dans cet article comportent plusieurs limites. Un biais d’échantillonnage pour le sondage auprès des diététistes-nutritionnistes est possible, car celles qui se sentent interpellées par les enjeux liés au poids sont plus susceptibles d’y avoir répondu. Les résultats de ce sondage sont donc à interpréter avec prudence. Aussi, en raison de la nature et la durée du projet de maîtrise, les données du sondage n’ont pas fait l’objet d’une analyse statistique et le point de saturation des données qualitatives pour les entrevues semi-dirigées n’a pas été atteint.

Les résultats relèvent des divergences qui concernent notamment la définition de l’obésité et le vocabulaire à utiliser dans les discours destinés à la population. Les enjeux reliés au poids sont propices à l’émergence de controverses et donc à ces divergences. En effet, il s’agit de problématiques complexes auxquelles prennent part une multitude d’acteurs qui ont des intérêts, des savoirs et des valeurs différentes (1). De plus, les connaissances scientifiques sur ces enjeux, constamment en évolution, sont parfois contradictoires (1).

L’exercice a également mis en lumière des consensus (importance de lutter contre la stigmatisation liée au poids et d’adopter un discours axé sur les habitudes de vie favorables à la santé plutôt que sur le poids) qui peuvent servir à étayer la construction d’un discours populationnel sur le poids. D’ailleurs, ces deux consensus sont invoqués comme principes directeurs du GTPPP.


FIGURE 4 – Acceptabilité de certains termes selon les diététistes-nutritionnistes

Totalement d’accord
Plutôt en accord
Plutôt en désaccord
Totalement en désaccord
Je ne sais pas / je préfère ne pas répondre
Les termes obèse ou obésité devraient être évités (%)
14.60
28.50
35.80
9.70
11.50
L’appellation ‘‘personnes grosses’’ n’est pas péjorative (%)
14.90
22.20
24.70
24.30
13.90

Conclusion

De nombreux messages sur le poids sont transmis à la population. Il importe de repenser la manière d’aborder les enjeux reliés au poids, et ce, sans nuire à la population. Pour ce faire, l’ASPQ et sa Coalition Poids ont mené des travaux de réflexion avec le GTPPP pour parvenir à une compréhension collective et favoriser une meilleure synergie. Ce projet de maîtrise a ainsi contribué aux travaux du GTPPP qui ont donné naissance au Manifeste québécois pour des communications saines sur les problématiques reliées au poids. Ce document présente les principes directeurs guidant les actions de communication sur les problématiques de poids. Il s’agit d’une première étape vers un discours populationnel plus cohérent, plus harmonieux et non stigmatisant.

Ressource complémentaire

Association pour la santé publique du Québec | Coalition québécoise sur la problématique du poids. Groupe de travail provincial sur les problématiques du poids : Pour des
communications saines sur les problématiques reliées au poids. [En ligne]. Montréal ; 2021. Disponible: https://www.cqpp.qc.ca/ app/uploads/2021/12/Rapport-GTPPP-2021-1.pdf

À propos des auteures

Marie-Jeanne Rossier-Bisaillon,
Dt.P., M. Sc.

Conseillère aux politiques publiques Coalition québécoise sur la problématique du poids, une initiative parrainée par l’Association pour la santé publique du Québec

Références

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