Cet article est paru originalement dans la revue Nutrition – Hiver 2022

MOTS CLÉS

  • Le désir d’être plus mince persiste souvent chez les personnes qui effectuent une transition vers l’alimentation intuitive et l’acceptation corporelle, malgré leur volonté de s’accepter.
  • Le fait de pouvoir s’identifier à d’autres personnes et se sentir accepté est important dans la trajectoire de remise en question des pratique

Un nombre grandissant de livres, de programmes et de contenus Web créés à l’intention du grand public par des professionnels de la santé proposent une approche de la saine alimentation non centrée sur le poids et fondée sur l’acceptation corporelle et le rejet des diètes amaigrissantes. Certaines études suggèrent que les restrictions alimentaires qui découlent d’un effort cognitif intentionnel de limiter l’apport énergétique pour contrôler son poids entraînent une plus grande vulnérabilité face à la suralimentation et que les cycles de restrictions et de regain du poids ont des conséquences néfastes sur les plans physiologique et psychologique notamment sur l’estime de soi, la satisfaction corporelle et la santé cardiométabolique (1-5). Les personnes ayant suivi plusieurs diètes amaigrissantes sont particulièrement sujettes au gain de poids (effet yoyo) à long terme et à la détérioration de leur bien-être psychologique (6-7). Ces personnes représentent donc un public pouvant particulièrement bénéficier des avantages d’une transition vers une alimentation plus intuitive et une plus grande acceptation corporelle. Malgré de nouvelles données probantes suggérant la pertinence des interventions non centrées sur le poids (8-9) et l’enthousiasme que suscite l’alimentation intuitive chez les professionnels de la santé, peu d’études ont documenté les besoins et les préoccupations des personnes qui adoptent des pratiques restrictives ainsi que les contextes sociaux facilitant ou entravant la transition vers une alimentation plus intuitive et l’acceptation corporelle. Dans un contexte où le poids demeure un motif de stigmatisation et de discrimination (10-11), où plusieurs discours de santé publique insistent sur les effets délétères du surplus de poids (12), et où l’industrie de l’amaigrissement favorise la perception populaire que la perte pondérale est facile et salutaire (13), la remise en question des diètes amaigrissantes, l’abandon des pratiques alimentaires restrictives et le développement d’une perception positive de son corps constituent des pro- cessus complexes et dynamiques. Chacun de ces processus implique une certaine reconstruction identitaire, la mobilisation de différents types de savoirs (explicites et tacites) et une renégociation des aspirations personnelles (14-15). Nous présentons dans cet article les résultats préliminaires d’une étude qui vise à comprendre comment s’articule et se contextualise la trajectoire des pratiques, des décisions et des perceptions liées au poids corporel incluant la transition (achevée ou non) vers l’alimentation intuitive chez les personnes ayant suivi plusieurs diètes amaigrissantes.

Objectifs d’apprentissage

  • Comprendre le caractère persistant du désir de maigrir malgré la volonté d’adopter des pratiques plus intuitives ;
  • Comprendre l’importance de partager son vécu et de pouvoir s’identifier à celui d’autrui pour donner un sens à sa trajectoire.

Méthodologie

Une analyse qualitative fondée sur la théorisation ancrée, c’est-à-dire une approche inductive visant à conceptualiser un phénomène social, a été choisie pour mieux aborder la diversité des perspectives et des trajectoires de personnes ayant suivi plusieurs diètes amaigrissantes (au moins trois). Des entretiens semi-dirigés ont été effectués auprès de 14 personnes rapportant un IMC > 30 kg/m2 et ayant adopté plusieurs pratiques restrictives par le passé. L’échantillon comprenait onze femmes, deux hommes et une personne s’identifiant comme queer. Le féminin sera donc utilisé comme genre grammatical dominant pour désigner les participantes. Les participantes avaient entre 32 et 55 ans et dix d’entre elles étaient originaires du Canada. Elles avaient toutes poursuivi des études postsecondaires et une seule participante a indiqué vivre sous le seuil de la pauvreté. Ce projet a obtenu l’approbation du comité d’éthique de l’Université d’Ottawa.

FIGURE 1 – Trajectoire de remise en question des pratiques alimentaires restrictives

Résultats

Comme illustré dans la figure 1, notre analyse permet de distinguer trois grandes catégories correspondant à trois stades de la trajectoire.

Problématisation de son poids et normalisation de la mentalité des diètes

Pour la plupart des participantes, la préoccupation envers le poids et le rapport restrictif à l’alimentation ont commencé à l’enfance ou à l’adolescence. Dès leur jeune âge, les participantes ont été témoin de l’importance accordée à la minceur dans plusieurs contextes (familial, scolaire, médical, sportif). Pendant l’enfance, la prise de conscience du fait d’être perçue comme une personne grosse a souvent été provoquée par des remarques explicites des pairs, de la famille ou des professionnels de la santé. À l’adolescence, l’impression d’avoir un problème à régler afin d’être socialement acceptable et de pouvoir accéder aux mêmes opportunités que les autres s’est cristallisée alors que les participantes se comparaient à leurs pairs et aux normes sociales véhiculées autour d’elles. En effet, à l’adolescence, certaines participantes ont commencé à associer leur poids à leur capacité à répondre à certaines attentes sociales (ex. : avoir un amoureux ou une amoureuse). Ainsi, elles ont aussi, d’une certaine manière, associé leur poids à leur capacité à accéder au bonheur ou du moins à la conception du bonheur qu’elles avaient alors. Les messages liés au poids n’étaient pas exclusifs à un contexte, à un lieu, à une période ou à une catégorie de personnes. La concordance des messages formels, provenant du corps médical, et informels, issus des relations sociales, a contribué à les consolider. Les discours sur la santé et la stigmatisation du poids ont amené les participantes à comprendre que leur poids constituait un problème pour leur santé physique et sociale.

Plusieurs participantes ont rapporté que certains membres de leur famille étaient préoccupés par leur propre poids ou suivaient régulièrement des diètes. Certaines participantes se sont inspirées de ces modèles malgré la désapprobation de la famille ; d’autres ont eu le soutien de leur famille pour adopter des pratiques restrictives alors que certaines ont subi des pressions pour les adopter malgré elles. Plusieurs participantes rapportent aussi avoir consulté des professionnels de la santé avec leurs parents. Ces rencontres les ont amenées non seulement à percevoir leur poids comme un problème, mais aussi à envisager des solutions pour y remédier. Les parents semblent avoir senti eux-mêmes des pressions pour modifier l’alimentation de leur enfant afin de favoriser une perte pondérale. Des méthodes de perte de poids ont été utilisées, le plus souvent temporairement. Toutefois, il semble que les cycles de restrictions alimentaires et d’abandon de celles-ci ont constitué des expériences marquantes cristallisant l’idée qu’il faille se restreindre pour perdre du poids. Au fil des années, les participantes se sont engagées à plusieurs types de pratiques restrictives (programmes commerciaux, diètes populaires, évitement de certains aliments, contrôle serré des apports énergétiques, pilules amaigrissantes, activité physique intensive, etc.).


FIGURE 2 – Citations des participantes au sujet de la problématisation de leur poids et de la normalisation de la mentalité des diètes

Processus

Citations

Problématisation de son poids

Bien, je dirais que pour ma part, c’est comme si j’ai toujours eu le sentiment de pas être correcte, d’avoir toujours à m’améliorer ou être en mode contrôle justement parce que moi j’ai un problème, c’est vécu comme moi j’ai un problème ou je suis un problème et c’est présent dans toutes les sphères de ma vie tout le temps. (participante 3)

Mon dieu, j’étais toute jeune là ! J’avais peut-être neuf ans quand ma mère a voulu que je fasse un régime, j’étais un petit peu plus ronde. Sinon des taquineries à l’école aussi, des surnoms, des choses comme ça par rapport à mon poids. (participante 7)

Bien j’étais convaincue que c’était ça, parce que toutes mes amies avaient, toutes mes amis étaient minces et j’ai commencé à perdre du poids en secondaire 1 et 2 et en secondaire 3 je me suis fait
un chum. J’avais un chum comme tout le monde, ça a juste renforcé l’idée. (participante 5)

Je me souviens que très jeune, en moment donné, j’avais rencontré une nutritionniste avec ma mère. Je sais pas qu’est-ce que ma mère avait gardé de ce moment-là, pour moi c’était juste un moment pénible et humiliant, ça m’a tenu loin des nutritionnistes pendant longtemps. (participant 14)

Mon frère me traite plus de grosse […] mais ça a toujours resté malheureusement, je suis profondément blessée de ça, parce que ça a été la répétition sur des années, ça m’a marquée énormément
et je sais que ce que je vis présentement ça vient de là entre autres… (participante 8)

Normalisation de la mentalité des diètes

Bien je sais que ma mère faisait tout le temps des régimes probablement que c’était dans mon cerveau sans le savoir. (participante 4)

Je faisais [les diètes] plus cachée parce que ma mère, malgré tout, était pas pour les régimes, mais […]. Elle était pour les régimes pour elle-même, mais pas pour moi. Elle me disait tout le temps que j’étais belle, mais même temps, ce qu’elle vivait c’était pas ça, je veux dire le modèle, elle me disait des choses, mais c’est pas ça qu’elle faisait fait que c’est sûr que ça avait peu d’impact sur moi. (participante 5)

Ma mère était là, à ce rendez-vous-là, puis il m’avait dit que je devrais perdre du poids parce que j’étais pas dans mon poids santé, puis à partir de ce moment-là, ma mère elle a commencé à vraiment renforcer cette idée-là que le médecin avait dit que je devais perdre du poids, fait que ma mère contraignait un peu mes portions de bouffe […] je pense que c’est un élément aussi qui a quand même contribué au fait que je me sente coupable par rapport au poids que j’avais. (participante 11)

Tu vois parce que je prends du poids parce que etc. je me fais pu dire que je suis belle, que j’ai l’air rayonnante, que ça me fait bien que c’est comme là, c’est comme c’est comme si c’était pas beau avoir poids avoir du poids en plus […] Tu vois vraiment qu’est-ce qui est accepté dans société […] ça se voit juste ne serait-ce qu’aux commentaires des gens qui voulaient être bienveillants au départ, mais là les commentaires sont plus, pas que j’attends après ça mais la coupure a été assez nette. (participante 8)

Ces stratégies étaient très exigeantes pour les participantes, qui, de surcroît, ne réussissaient pas à atteindre ou maintenir un poids les satisfaisant. Les participantes recevaient plusieurs commentaires lorsqu’elles réussissaient à perdre du poids. Qu’elles les aient appréciés sur le moment ou non, ces commentaires leur confirmaient l’importance du poids aux yeux d’autrui. Les normes entourant le poids ont donc marqué le développement identitaire des participantes et la perte de poids est devenue une aspiration personnelle qu’elles ont tenté de satisfaire en acquérant et en mobilisant certains savoirs au sujet de la restriction cognitive.

Redéfinition du problème et de ses solutions

La décision de ne plus ou de moins recourir à la restriction cognitive pour maîtriser le poids n’a pas été prise de la même manière par toutes. Quelques participantes sont arrivées à la conclusion que leur volonté effrénée de contrôler l’alimentation était un problème en soi et ont cherché de l’aide pour un problème de comportement alimentaire. Pour d’autres, la remise en question des pratiques restrictives s’est effectuée beaucoup plus progressivement en constatant au fil du temps que les diètes n’apportaient pas la perte de poids et le bien-être qu’elles espéraient. Elles ont pris conscience que certaines pratiques ne leur convenaient pas sans, toutefois, remettre en question le bien-fondé d’une restriction cognitive plus flexible. Certaines personnes ont choisi d’explorer le volet psychologique de l’alimentation en entamant une démarche d’introspection qui pouvait comporter un suivi psychologique ou s’inscrire dans le cadre d’un programme de groupe. Les participantes ont donc voulu explorer davantage les besoins psychologiques et sociaux auxquels leurs pratiques alimentaires tentaient de répondre et leur rapport au corps autrement que par la perte de poids. Certaines participantes espéraient, entre autres, que cette démarche leur permettrait de mettre en place des restrictions de manière plus saine alors que d’autres voulaient, au contraire, apprendre à se libérer de ce besoin de contrôle. Certaines participantes ont été exposées à des discours sur l’alimentation intuitive ou l’acceptation corporelle de façon plus ou moins fortuite par leur entourage. Certaines ont initialement perçu l’alimentation intuitive comme une méthode d’amaigrissement avant de rejeter plus catégoriquement la mentalité des diètes.

Au fil du temps les participantes ont commencé à percevoir le caractère problématique de certaines pratiques restrictives. Certaines trouvaient que l’alimentation intuitive et l’acceptation corporelle étaient des approches intéressantes, mais elles avaient l’impression que ces approches sont plus appropriées pour les personnes ayant un poids moindre ou ayant une plus grande facilité à percevoir leurs signaux de faim et de satiété. Pour certaines, l’acceptation corporelle et une alimentation plus intuitive sont devenues des buts en eux-mêmes alors que pour d’autres, la gestion du poids est demeurée un objectif à atteindre devant toutefois être constamment négocié avec leurs limites personnelles dans une optique plus large de bien-être psychosocial.


FIGURE 3 – Citations des participantes à propos de la redéfinition du problème et de ses solutions

Processus

Citations

Redéfinition du problème et
de ses solutions

Je prenais soin de mon corps mais jprenais pas soin de ma tête faque en moment donné c’est là que j’ai, j’ai fessé mon mur. (participante 8)

J’ai pas faite de diète drastique comme j’avais faite avant là, ça je me suis toujours dit que je referais plus ça […] c’était le fait d’avoir un enfant et je me disais quel sorte de rôle je vais jouer là-dedans. (participante 5)

C’était comme rafraichissant même d’entendre parler qu’il fallait enlever les restrictions […] mais j’avais comme, comme j’allais me marier prochainement tout ça c’est comme si j’avais vraiment un objectif de perte de poids
à court terme pis là je me disais mais oui mais là j’y arriverai pas de cette façon-là. C’est pas que j’y croyais pas et en fait, ça me paraissait évident que c’était la solution la plus durable vers laquelle je devais m’orienter mais comme là j’avais en tête qui fallait que je réussisse à perdre du poids avant mon mariage… (participante 3)

J’entamais une période de régime alimentaire plus sain mais qui soit pas restrictif et d’être suivie en par un psychologue qui puisse m’aider à passer le cap de ben, de changer, autant l’alimentation que le mindset aussi. (participante 13)

Mon amie qui a une diététiste qui l’a suit depuis un an en alimentation intuitive m’avait dit, il y a [une nutritionniste] qui donne des conférences dans à la bibliothèque […], est-ce que ça t’intéresse d’y aller […] ça te ferait une sortie pis en même temps tu vas rencontrer une diététiste. Je lui ai dit tu sais que moi je déteste les diététistes, mais j’avais dit ça pis après ça, j’ai été sur Internet pour l’alimentation intuitive, quand j’ai lu ça je me suis dit : ah mon dieu je ne connaissais pas ce concept. (participante 12)

Négociation d’un espace de liberté

Pour la plupart des participantes, l’acceptation corporelle se révèle un processus continu plutôt qu’une finalité. Plusieurs participantes ont le sentiment persistant qu’elles seraient une meilleure version d’elles-mêmes si elles perdaient du poids, et ce, malgré le souhait de s’accepter telles qu’elles sont. Les participantes sont demeurées directement ou indirectement exposées à la grossophobie et la culture des diètes par les médias sociaux, l’entourage, les professionnels de la santé et par les discours sur la santé. Certains de ces messages amènent les participantes à s’imaginer qu’elles pourraient effectivement perdre quelques kilos rapidement si elles adoptaient telle ou telle pratique. Chaque fois, elles doivent consciemment se rappeler les conséquences que ces pratiques ont eues par le passé.

Pour améliorer leur bien-être, les participantes se sont mises à trouver des moyens pour s’exposer à des discours plus favorables : elles recherchent des professionnels de la santé dont le discours au sujet de la gestion du poids leur convient mieux ; elles expriment leurs limites à leurs proches ou modifient leurs préférences sur les médias sociaux pour s’exposer à plus de diversité. D’autre part, plusieurs souhaitent également partager leur vécu, y voyant une opportunité de contribuer au changement social qu’elles souhaitent voir. Ce partage pouvait se faire à différentes échelles et prendre plusieurs formes : par exemple, partager des publications sur les médias sociaux, s’exprimer dans le cadre d’un programme de groupe, discuter avec des proches, partager une vision positive de l’alimentation et de la diversité corporelle auprès de leurs enfants et même prendre la parole sur différentes tribunes médiatiques. Le fait de partager son histoire, ses difficultés et ses apprentissages offre la possibilité de se sentir validées et d’aider d’autres personnes à se reconnaitre. Ce partage permet aux participantes de prendre conscience de leur progrès et de donner un sens aux difficultés rencontrées. Elles apprennent ainsi à créer un espace leur permettant de s’exposer aux discours qu’elles jugent favorables à leur bien-être tout en établissant des limites pour se protéger de certains discours jugés néfastes. Il s’agit donc d’une étape d’émancipation.

Décision individuelle, perspective collective

Comme indiqué dans les écrits scientifiques, choisir des pratiques restrictives ou intuitives est lié à de multiples facteurs individuels et sociaux (14-15). Notre étude indique que la transition vers l’alimentation intuitive, bien qu’elle soit issue d’une décision individuelle, comporte indéniablement une dimension collective importante. La transition est fortement liée aux représentations et aux discours auxquels les personnes ont été exposées tout au long de leur vie. Les discours et les représentations qui associent la minceur au bonheur et la grosseur à l’adversité sont omniprésents dans la vie des participantes. Le processus de transition implique de désapprendre plusieurs notions bien ancrées et de se réapproprier son rapport au corps et à l’alimentation. Ce processus peut être long. La possibilité de s’identifier à des personnes qui partagent leurs difficultés ou qui affichent leur fierté d’avoir un corps ne correspondant pas aux idéaux sociaux de minceur, de s’affirmer et d’être accepté joue un rôle clé dans ce processus.


FIGURE 4 – Citations des participantes à propos de la négociation d’un espace de liberté

Processus

Citations

Négociation d’un espace de liberté

Encore là, je me sens moins toute seule, et ça me fait du bien quand que je vois que j’ai aidé quelqu’un. Je me dis, je me suis aidé moi dans tout ce que j’ai fait, j’ai encore moi-même du chemin à faire, mais si je peux aider les autres juste en faisant de la sensibilisation bien c’est sûr que ça me fait du bien là d’entendre ça. (participante 8)

Ce qui m’inquiétait beaucoup c’était ces fameuses réunions en groupe, ça j’étais vachement inquiète et en fait ça été extraordinaire parce que c’était fascinant quoi de voir des gens que moi je trouvais mais il est où ton problème de poids quoi, il est dans leur tête, mais il n’est pas physique. (participante 9)

En moment donné, je me suis abonnée à différents comptes Instagram de personnes qui vont préconiser la diversité corporelle ou le bien-être peu importe la forme de ton corps ou qui vont mettre des photos d’elles alors que, selon les standards de la société elles ont clairement pas le corps pour prendre des photos d’elles en maillots. Je me suis un peu conditionnée à suivre un peu ces personnes-là pour, parce que je pense qu’il faut se rééduquer comme personne, comme société à voir la beauté là-dedans parce qu’on a tellement été conditionné à cacher les rondeurs ou à pas les exposer, mais ça reste qu’au plus profond de moi-même mais ça reste qu’au plus profond moi-même […] je le ferais pas. (participante 3)

Là c’est parce que mon poids m’empêche de faire les choses que je veux, tsé j’ai toujours dit que mon poids me dérangeait pas tant que je pouvais faire ce que je voulais mais là mon poids me limite parce que rendu où je suis là à l’âge que j’ai ben je peux pu jardiner à mon goût, je peux pu faire du kayak, faire du vélo ben j’ai les genoux qui pètent dans ma bedaine faque donc ça m’empêche de faire les choses que j’aime faire, des choses que j’aime faire. (participante 6)

Comme en témoignent certaines des citations de la figure 4, le fait de participer à des programmes de groupes ou d’échanger sur des espaces virtuels offre la possibilité de s’identifier à d’autres personnes vivant des situations similaires et de présenter son cheminement à d’autres qui pourront, à leur tour, s’y identifier. La mentalité des diètes a été internalisée par les participantes, car elles y ont été continuellement exposées pendant plusieurs années. Les diètes ne répondent pas seulement à un impératif perçu de santé, mais aussi au souhait d’acceptation et d’accomplissement de soi. Il apparaît justifié de s’assurer que ces personnes puissent être exposées à des modèles de bienveillance à l’égard du corps et de l’alimentation dans différentes sphères de leur vie afin de pouvoir déconstruire la perception que le poids est un attribut foncièrement négatif. D’autres études sont nécessaires pour comprendre ce qui favorise le cheminement des personnes appartenant à divers sous-groupes de la population : les hommes, les personnes appartenant aux minorités sexuelles, les personnes s’identifiant à des groupes socioculturels minoritaires, les personnes ayant un handicap visible et les personnes socioéconomiquement défavorisées.

Conclusion

La cessation des pratiques restrictives et l’adoption d’une approche bienveillante face à son alimentation et à son corps ne représentent pas un processus linéaire. Cette transition est souvent ponctuée d’allers-retours, de tentations et de remises en question puisque les normes liées au poids s’enracinent très tôt dans la vie et influencent la construction identitaire. Il importe que les personnes disposent d’opportunités pour s’approprier leur démarche et lui donner un sens. Cela leur offre aussi la possibilité de jouer un rôle actif dans la remise en question des discours dominants et dans la production de nouveaux discours que ce soit en partageant leur vécu avec des proches ou à des inconnus. Au-delà du rôle d’informatrice, il est important de considérer que nous avons aussi un rôle d’accompagnatrice en tant que diététistes-nutritionnistes étant donné que le rapport à l’alimentation et au corps est fortement lié à la trajectoire identitaire et que nous pouvons contribuer à la diversification des discours sur le poids et l’alimentation. Les membres de notre profession doivent continuer de reconnaître et de faire valoir que l’acceptation corporelle n’est pas qu’une simple question de volonté individuelle et qu’il faut accueillir la complexité et l’ambivalence. Les programmes de groupe et les médias sociaux peuvent constituer des outils pour s’exposer à des discours différents et se positionner face à ces discours.

À propos des auteures

Elyse Durocher, Dt.P., M. Sc.

Doctorante, chargée de cours, Université d’Ottawa

Amélie Perron, inf., Ph. D.

Professeure titulaire, Université d’Ottawa

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Ressources complémentaires

Bernier, E. Grosse, et puis? Connaître et combattre la grossophobie.
Montréal (CA): Trécarré ; 2020.

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