Outiller les milieux avec le Système d’information scolaire pour un environnement scolaire favorable

Cet article est paru originalement dans la revue Nutrition – Hiver 2022

Petite histoire du Système d’information scolaire

Sous-consommation de légumes, de fruits, de fibres ; surconsommation de boissons sucrées, de grignotines et de repas achetés dans des restaurants rapides ; omission du déjeuner, autant de comportements qui nuisent à l’acquisition de saines habitudes alimentaires par les jeunes (1,2). Pourtant, une alimentation équilibrée et variée est essentielle à la santé et au développement des jeunes (3) ; elle peut contribuer grandement à leur réussite éducative (4-9). Les jeunes qui mangent bien sont des élèves plus concentrés, plus aptes à développer leur plein potentiel (10,11). Comme les jeunes consomment plus du tiers de leurs calories quotidiennes à l’école, il importe que ce milieu donne le bon exemple (12). Un environnement scolaire favorable jouerait un rôle crucial dans l’amélioration de la qualité de l’alimentation des jeunes, notamment en les encourageant à adopter de saines habitudes alimentaires (13-16).

Des politiques alimentaires scolaires ont eu des retombées positives sur le contenu nutritionnel des repas servis à l’école ainsi que sur les apports alimentaires des jeunes (17-19). Depuis plusieurs années, l’on recommande leur mise en œuvre (20). Au Québec, la politique-cadre Pour un virage santé à l’école a été mise en œuvre en 2008 (21). Au même moment, un portrait des environnements alimentaires scolaires a été réalisé au moyen d’un échantillon représentatif d’écoles québécoises ; il s’agit du plus récent portrait dont nous disposons.

Malgré l’application de la politique-cadre et la participation des intervenants, le portrait révèle que la qualité de l’offre alimentaire et des contextes de repas scolaires n’était pas optimale pour favoriser les saines habitudes alimentaires des jeunes (22-23). C’est aussi l’un des constats de la Coalition québécoise sur la problématique du poids dans son rapport Virage santé à l’école, 10 ans plus tard (24), un bilan réalisé par un comité fondé sur des savoirs scientifiques et expérientiels. Soulignant l’importance de la politique-cadre, ces auteurs concluent en insistant sur la nécessité de « réaliser un nouveau portrait de la qualité nutritionnelle des menus offerts à l’école » et de « subventionner l’aménagement d’aires de repas conviviales ».

En 2016, l’Organisation mondiale de la Santé a recommandé une surveillance continue des environnements alimentaires scolaires (25). Plusieurs auteurs ont appuyé cette recommandation en soulevant la nécessité de mesures précises et continues de ces environnements (26-27). Malheureusement, les collectes de données, faites au moyen d’un questionnaire en version papier par un observateur externe lors d’une visite dans les écoles, sont coûteuses, complexes et intrusives ; ces inconvénients limitent le nombre d’écoles visitées et la fréquence des mesures (28-29). En l’absence d’évaluations régulières et faute de données récentes, il est difficile pour les milieux scolaires d’évaluer leur environnement et pour les chercheurs de conseiller judicieusement les décideurs et les intervenants.

Cet article vise à vous présenter une solution novatrice développée par des chercheurs de trois universités québécoises dans le cadre d’un partenariat interdisciplinaire : le Système d’information scolaire (SIS).

Description du Système d’information scolaire

Le SIS est une plateforme numérique, souple et gratuite qui permet aux écoles d’évaluer leurs milieux scolaires au regard d’éléments contribuant à la réussite éducative. L’interface, constituée d’un ensemble de questionnaires thématiques destinés aux membres du personnel de l’école, permet à chaque direction scolaire de gérer le processus d’autoévaluation. Les questionnaires, d’une durée de 15 à 30 minutes, ciblent différentes facettes de l’environnement scolaire (alimentation, activité physique, climat de bien-être) pouvant influencer la santé et la réussite éducative des jeunes.

Deux questionnaires permettent de brosser un portrait de l’environnement alimentaire scolaire : 1) Offre alimentaire au repas du midi (fonctionnement du service alimentaire et recension des aliments et des boissons offerts) — questionnaire rempli par une personne qui participe à la préparation et au service des aliments ; 2) Contextes de repas (encadrement et règlements pendant le repas du midi, temps pour manger, descriptif des lieux de repas) — questionnaire rempli par une personne supervisant les repas. D’autres questionnaires seront développés pour compléter le portrait de l’environnement alimentaire scolaire. Ils permettront d’évaluer la qualité des mesures de soutien alimentaire, l’offre alimentaire lors d’évènements spéciaux et le voisinage alimentaire (points de vente autour des écoles).

Élaboré au moyen d’un processus scientifique, le SIS permet de centraliser l’information ; il peut facilement être mis à jour pour tenir compte de l’évolution des données probantes et des politiques publiques. Il s’adapte aux besoins des différents contextes scolaires. Par exemple, le court questionnaire d’accueil rempli par les directeurs d’école déverrouille seulement les questionnaires applicables à la réalité de l’école. L’équipe-école peut ainsi cibler une ou plusieurs thématiques selon les enjeux prioritaires de l’école sans remplir tous les questionnaires. À l’inverse, une école peut aussi utiliser le SIS pour réaliser un portrait global de son école et dégager les composantes à améliorer. De plus, le processus cyclique du SIS permet de suivre l’évolution des environnements, puisque les questionnaires sont accessibles à chaque nouvelle année scolaire. On peut donc évaluer régulièrement les efforts déployés pour la réussite éducative et l’amélioration continue. Le SIS sert ainsi de guichet unique pour chaque école.

Processus de développement et d’expansion du Système d’information scolaire

Les fonctionnalités de la plateforme ont été développées pour être entièrement automatisées. Le système, une fois déployé, automatise plusieurs tâches comme, entre autres, la distribution de courriels, la production d’identifiants uniques pour chaque école et chaque répondant, l’attribution de questionnaires et la génération de rapports personnalisés. La plateforme a également été pensée et programmée pour en garantir la convivialité, la fluidité du processus et la prise en compte du contexte scolaire québécois.

Un processus rigoureux, alternant développement et validation, est effectué avant l’inclusion d’un questionnaire sur la plateforme, puis périodiquement (30). La figure 1 détaille la démarche qui comprend les mesures de validité et de fidélité effectuées par des experts et par les principaux acteurs du milieu scolaire.

Chaque questionnaire est élaboré à partir de la définition de l’enjeu ciblé et des indicateurs opérationnels mesurables de ce construit théorique. Le développement se fonde sur les plus récentes données probantes concernant les environnements scolaires et sur les politiques publiques. Pour chaque indicateur, des questions sont développées ou adaptées de celles utilisées par d’autres questionnaires (validés ou non) et par des études portant sur le même construit théorique. Chaque étape de développement est intercalée de validation qualitative et quantitative (au moyen de l’indice de validité de contenu) auprès d’un comité d’experts spécialistes de l’enjeu ciblé et du milieu scolaire (p. ex. diététistes-nutritionnistes employées dans un centre de services scolaire ou une direction de santé publique). Puis, des tests de lisibilité sont effectués auprès de répondants types dans les écoles pour valider la compréhension du vocabulaire et des questions. Ces étapes de développement et de validation sont adaptées des règles proposées pour évaluer la validité du contenu d’un instrument (31).

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FIGURE 1 – Processus de dévelopement et de validation d’un questionnaire

À la suite de modifications nécessaires, une étude pilote est réalisée dans une trentaine d’écoles pour mesurer la fidélité interjuges, c’est-à-dire la concordance des données recueillies à l’aide du questionnaire par différents juges indépendants, au même moment (32). Cette étape de validation vise à vérifier que le questionnaire mesure précisément le concept. Le choix des juges est en fonction du type de questions; la fidélité interjuges peut être mesurée entre un répondant d’une école et une référence (ici, une diététiste-nutritionniste) ou entre deux répondants de la même école. Dans le premier cas, les données collectées par une diététiste-nutritionniste et consignées dans le questionnaire lors de sa visite dans une école sont comparées à celles communiquées par le répondant de l’école (30). Ainsi, l’équivalence est mesurée par la concordance des réponses données par les répondants dans les écoles avec celles des diététistes-nutritionnistes (référence pour ce type de mesures). Lorsque deux membres d’une même école remplissent le questionnaire, leurs données sont comparées puis discutées lors d’une rencontre de suivi entre l’équipe de recherche et les deux répondants pour comprendre et éclaircir les divergences. Les modalités de réponse ainsi que les instructions sont également évaluées durant l’étude pilote, car elles participent à la validité de contenu (31).

Dans un souci d’amélioration continue des qualités psychométriques des questionnaires, de nouvelles mesures de validité et de fidélité seront régulièrement réalisées. Il peut s’agir par exemple d’évaluer la constance par un test-retest ou la validité prédictive entre un environnement scolaire favorable et la réussite éducative.

De plus, même si les questions ont été rédigées selon une formulation se voulant neutre et dénuée de jugement, le biais de désirabilité sociale peut toujours apparaître. Pour favoriser les réponses sincères et réduire le biais de désirabilité sociale des répondants, le but du projet est expliqué dans les premières pages de chaque questionnaire. Bien que l’utilisation d’un questionnaire comme outil de collecte de données puisse comporter des limites, le format numérique permet d’en pallier certaines, comme le taux élevé de données manquantes (33). En effet, les répondants doivent obligatoirement compléter une question avant de passer à la suivante. Les biais liés à la saisie manuelle des données dus à l’erreur humaine et à l’enquêteur sont également diminués par l’usage du numérique (34). De plus, les questionnaires numériques ont l’avantage d’abréger le temps de remplissage en permettant de sauter certaines questions selon les réponses. Les répondants peuvent également s’attendre à une plus grande souplesse, puisqu’ils peuvent remplir les questionnaires au meilleur moment pour eux et faire des pauses si nécessaire (35).

Finalement, l’influence du SIS sur la création d’environnements scolaires favorables n’a pas encore été évaluée depuis son lancement en raison de la pandémie de la COVID-19, mais sera documentée.

Déploiement du Système d’information scolaire dans les milieux scolaires

Le déploiement du SIS se fait durant l’année scolaire dans l’ensemble des écoles du Québec.
Le processus de participation d’une école au SIS est détaillé à la figure 2.

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FIGURE 2 – Processus de participation d’une école au Système d’information scolaire

Le premier déploiement du SIS a eu lieu en novembre 2019 dans la majorité des écoles québécoises (36). Les directions scolaires ont reçu une invitation par courriel ; la pandémie et la présence d’un seul questionnaire au moment du lancement sur la plateforme ont limité la participation des écoles (n = 108). Durant l’implantation et lors des études pilotes, plusieurs forces ont été relevées : la cohérence avec les besoins des écoles et des principaux intervenants, le concept de plateforme « tout-en-un », la simplicité d’utilisation et la rapidité de réception des rapports. Divers acteurs et intervenants du milieu scolaire regroupés dans un partenariat en appui au SIS ont également mentionné la rigueur du processus d’élaboration des questionnaires ainsi que le lien créé entre la recherche et les milieux. Parallèlement, diverses faiblesses ont été notées lors du déploiement du SIS : le peu de notoriété de la plateforme, le nombre limité de thématiques et le manque ou le type de communications avec le public cible. La promotion du SIS, l’amélioration de la variété des thématiques et de la lisibilité des rapports sont quelques-unes des améliorations apportées au SIS. Le déploiement pour l’année scolaire 2020-21 a été reporté considérant le climat d’instabilité dans les écoles. Le déploiement 2021-22 est prévu durant la deuxième période de l’année scolaire, si la situation sociosanitaire le permet.

Perspective pour la pratique, de l’action aux décisions

La plateforme vise à faciliter le transfert de connaissances ainsi que le partage des savoirs entre tous les acteurs appelés à créer un environnement scolaire sain. Tout d’abord, le SIS est un outil qui vise à outiller les écoles dans l’amélioration continue de leurs environnements.

Le rapport personnalisé généré par le SIS, avec la liste des points forts, des défis du milieu, avec ses recommandations et ses ressources, constitue la première étape de mobilisation et de mise en action. Les directions d’école sont alors encouragées à transmettre les résultats des rapports aux intervenants concernés par la thématique évaluée. Ainsi, les diététistes-nutritionnistes de centres de services scolaires ou de directions de santé publique pourront travailler avec des équipes-écoles à partir des rapports générés sur l’alimentation par le SIS.

La mise en commun des données anonymisées des questionnaires des écoles contribuera à brosser un portrait des environnements scolaires québécois. Des rapports régionaux et provinciaux serviront à renseigner les intervenants et les décideurs des forces et des faiblesses de différents sous-groupes. Les acteurs clés disposeront d’un outil de mesure des efforts et d’un langage commun dans le cadre de concertations intersectorielles.

Dans l’amélioration de l’environnement alimentaire, les diététistes-nutritionnistes qui collaborent avec les milieux scolaires peuvent utiliser le SIS pour accompagner chaque école selon ses besoins et les enjeux diagnostiqués. Plus concrètement, les diététistes-nutritionnistes peuvent assister les équipes-écoles dans l’application d’orientations et de politiques et la mise en œuvre d’interventions favorisant un environnement alimentaire sain.

Le SIS sert aussi de tribune aux diététistes-nutritionnistes.

En effet, les décideurs se servent des données collectées pour élaborer et mettre à jour des politiques publiques sur l’alimentation et des projets adaptés au contexte scolaire. Le SIS souhaite mobiliser tous les acteurs du milieu scolaire en s’appuyant sur l’expertise des diététistes-nutritionnistes.

Le SIS peut être utile en recherche pour documenter les facteurs environnementaux et leur influence sur les comportements des jeunes, selon une approche écosystémique (37). Les données collectées sur les environnements scolaires pourraient être jumelées à celles collectées chez les jeunes relatives, entre autres, à l’alimentation, la santé et la réussite éducative.

La collaboration entre des diététistes-nutritionnistes de divers domaines (recherche, santé publique et interventions sur le terrain) a répondu à un besoin à la fois scientifique, politique et social : faciliter la création d’environnements alimentaires scolaires favorables à la santé et à la réussite éducative des jeunes. Le Système d’information scolaire est le premier instrument de ce type conçu pour le contexte éducatif québécois. L’on peut imaginer adapter cette plateforme numérique à d’autres contextes, à moindre coût, si un nouveau besoin était soulevé.

Remerciements

Nous tenons à remercier les personnes et organisations suivantes pour leur contribution au SIS. Emma Patterson, Ph. D. a transmis le script de la plateforme SkolmatSverige (School Food Sweden) à notre équipe, accélérant ainsi la programmation de notre plateforme Web. Polygon Research (anciennement Treksoft Solutions inc.) a contribué à la conception et à la programmation de la plateforme Web et des questionnaires. Le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur du Québec a soutenu cette plateforme et facilité nos communications avec les milieux scolaires. Nous remercions tout particulièrement les professeurs Alexandre Lebel et Yan Kestens pour leur contribution à la fondation du SIS, les experts qui ont participé aux différentes validations, les partenaires du SIS pour avoir encouragé son expansion et sa pérennisation, ainsi que les intervenants scolaires pour leur participation et utilisation du SIS.

Références

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