
Cet article est paru originalement dans la revue Nutrition – Hiver 2023
Résumé
Contexte : La crise de la COVID-19 et les mesures de confinement instaurées pour endiguer la pandémie ont entraîné des répercussions (isolement social, stress, stigmatisation accrue à l’égard du poids par les médias) susceptibles d’avoir modifié les habitudes de vie et soulevé des préoccupations liées au poids et à l’alimentation de la population québécoise.
Objectif : À partir des résultats d’un sondage lancé par l’organisme ÉquiLibre en août 2021, nous avons examiné les effets de la pandémie sur les perceptions et les préoccupations envers le poids et l’alimentation de la population québécoise.
Méthodologie : Le sondage Web a été réalisé auprès de 1817 Québécoises et Québécois âgés d’au moins 14 ans. Nous avons évalué les associations entre les caractéristiques des participants et les effets de la pandémie sur leurs préoccupations à l’égard du poids et de l’alimentation au moyen d’analyses de régression logistique.
Résultats : Près du tiers des personnes sondées se disaient plus préoccupées à l’égard de leur poids et de leur alimen- tation qu’avant la pandémie. La perception d’être trop gros et le fait de se soucier du poids (désir de perdre du poids, entre autres) étaient associés à une augmentation des préoccupations à l’égard du poids. Chez les adultes, ces caractéristiques étaient également associées à une augmenta- tion des préoccupations envers l’alimentation.
Conclusion : En réponse à ces effets de la pandémie, les diététistes-nutritionnistes joueront un rôle déterminant dans la déconstruction des mythes liés au poids et à la santé, et dans le développement d’une relation positive avec la nourriture.
Mots-clés : pandémie, COVID-19, poids, préoccupations, alimentation, habitudes de vie, comportements.
Introduction
Depuis mars 2020, la pandémie de COVID-19 bouleverse le monde entier. Dans ce contexte exceptionnel, on pouvait s’attendre à ce que les mesures sanitaires imposées perturbent à divers degrés les habitudes de vie et le bien-être des populations. Le confinement, le télétravail, la crainte de la COVID-19, la distanciation sociale, la fermeture des écoles et des installations récréatives ont eu un effet généralement défavorable sur les habitudes de vie, notamment en favorisant les comportements associés au gain de poids (1-3). Par exemple, un sondage Web international auprès d’adultes a rapporté une diminution de l’activité physique et une augmentation de la sédentarité (temps passé en position assise)
(1). Diverses études réalisées durant la pandémie ont noté des modifications des comportements alimentaires, comme une perte de contrôle (1), une augmentation de la prise alimentaire en réponse au stress (2) et une augmentation de la consommation d’aliments ultra-transformés (3).
La crise de la COVID-19 a bouleversé les habitudes de vie, entraîné une détresse psychologique (4) et une plus grande stigmatisation à l’égard du poids (publications sur les réseaux sociaux sur la prise de poids durant la pandémie). Outre l’augmentation de l’indice de masse corporelle (IMC) moyen notée chez une partie de la population (5), la pandémie a aussi eu pour effet d’exacerber les préoccupations de la population relatives au poids et de nuire à la relation avec le corps et l’alimentation. L’insatisfaction corporelle comporte plusieurs effets négatifs sur la santé physique et mentale ; elle est associée à l’anxiété, à la dépression (6, 7), à une plus grande détresse psychologique et à une diminution de la qualité de vie (8).
L’organisme ÉquiLibre1 a lancé un sondage Web en août 2021 pour évaluer les effets de la pandémie sur la relation que les Québécoises et les Québécois entretiennent avec leur corps, leur alimentation et la pratique d’activité physique
(9). En nous basant sur les données du sondage, nous avons examiné plus particulièrement les effets de la pandémie sur les perceptions et les préoccupations envers le poids et l’alimentation de la population québécoise.
Objectifs d’apprentissage
- Comprendre les effets de la pandémie sur la relation avec la nourriture et sur les préoccupations à l’égard du poids et de l’alimentation.
- Examiner les caractéristiques des personnes qui rapportent être davantage préoccupées par leur poids et leur alimentation depuis le début de la pandémie.
- Organisme québécois sans but lucratif, ÉquiLibre se donne comme mission de favoriser chez les gens le développement d’une image corporelle positive et de créer des environnements inclusifs qui valorisent la diversité corporelle par des actions de sensibilisation et de soutien au changement de pratiques.
Méthodologie
Les données de cette étude ont été collectées entre le 12 et le 23 août 2021 par la firme Léger, mandatée par ÉquiLibre. Le sondage (en français ou en anglais) a été rempli par 1817 Québécoises et Québécois âgés d’au moins 14 ans faisant partie du panel Léger Opinion (LEO). Les participants adultes qui s’identifiaient comme parents avaient un ou plusieurs enfants âgés de moins de 18 ans. Les ados et les adultes qui ont répondu au sondage n’appartiennent pas au même ménage. Le sondage qui a permis de recueillir les données présentées dans cet article comportait des questions fermées, à choix multiples et des échelles de Likert de 5 réponses. L’IMC2 a été calculé à partir du poids et de la taille rapportés dans le sondage par la personne répondante. Chaque personne participante a donné son consentement avant de remplir le questionnaire qui avait été mis au point par ÉquiLibre en collaboration avec un comité d’experts.

Les caractéristiques sociodémographiques des participants (Tableau 1), la perception de leur poids, leurs comportements alimentaires et les effets de la pandémie sur leurs préoccupations liées au poids et à l’alimentation (Tableaux 2 et 3) sont présentés en proportion (%)3 de participants. Pour les perceptions et les préoccupations, les résultats sont stratifiés selon deux groupes d’âge : ados (14 à 17 ans) et adultes (18 ans et plus). Les résultats ont été pondérés par la firme Léger en fonction du sexe, de l’âge, de la langue maternelle, de la région et du niveau de scolarité pour tenir compte des caractéristiques de la population québécoise. Nous avons ensuite effectué des analyses de régression logistique pour évaluer les associations entre les caractéristiques des personnes sondées (par groupe d’âge) et les effets de la pandémie sur leurs préoccupations liées au poids et à l’alimentation (Tableaux 4 et 5) toujours en tenant compte de la pondération. Nous présentons les rapports de cotes (RC) pour chacune des caractéristiques et leur intervalle de confiance (IC) respectif. Ces analyses ont été effectuées avec le logiciel Statistical Package for the Social Sciences (SPSS) v.28.
- Dans les analyses, l’IMC a été utilisé à des fins de comparaisons, sans jugement sur le poids ou l’état de santé des participants.
- Les participants avaient le choix de ne pas répondre à une ou plusieurs Par conséquent, les totaux ne sont pas toujours de 100 %.

Résultats
Participants
Les caractéristiques sociodémographiques des participants (n = 1817) sont présentées au Tableau 1. L’échantillon est composé de 803 ados de 14 à 17 ans et de 1 014 adultes de 18 ans et plus.
TABLEAU 1 – Caractéristiques sociodémographiques des participants du sondage d’ÉquiLibre réalisé en août 2021
Caractéristiques n=1817 | % des participants |
Genre | |
Masculin | 49 % |
Féminin | 51 % |
Revenu familial total brut, $ CA | |
≤ 39 999 |
20 % |
40 000 à 79 999 |
32 % |
≥ 80 000 | 36 % |
Dernière année scolaire complétée | |
≤ Secondaire | 32 % |
Collégiale | 43 % |
Universitaire | 25 % |
Indice de masse corporelle, kg/m2 | |
< 18,5 | 3 % |
18,5-24,9 | 34 % |
25-29,9 | 36 % |
≥ 30 | 26 % |
Perceptions et préoccupations à l’égard du poids
Des participants se perçoivent comme trop gros (28 % des ados et 61 % des adultes) et souhaitent perdre du poids dans les prochaines années (32 % des ados et 66 % des adultes). Le contrôle du poids obsède une grande proportion des participants (52 % des ados et 64 % des adultes) ; la majorité d’entre eux estime qu’on entend trop parler de poids dans la société (72 % des ados et 62 % des adultes).
L’effet de la pandémie sur la préoccupation à l’égard du poids des personnes répondantes est présenté au Tableau 2. En 2021, le tiers (34 %) des personnes sondées se disait davantage préoccupé par son poids qu’avant la pandémie. Précisons que parmi ces personnes, 58 % ont indiqué que c’était lié à une modification de leur niveau d’activité physique, 50 % à une modification des habitudes alimentaires, 50 % à une modification de leur poids, 31 % à une modification de leur niveau de stress et 15 % à une modification de leur perception des risques liés au surpoids (risque accru de complications liées à la COVID-19) pendant la pandémie. De plus, 38 % des personnes répondantes avaient l’impression que leur entourage abordait davantage la question du poids corporel et 36 % estimaient que les médias s’entretenaient davantage du poids depuis le début de la pandémie. L’exposition aux réseaux sociaux s’est accrue durant la pandémie chez près de la moitié des personnes participantes (65 % des ados et 46 % des adultes).
Perceptions et préoccupations liées à l’alimentation
Tableau 2 – Effets de la pandémie sur les perceptions et les préoccupations liées au poids rapportées par les ados et les adultes du sondage
Ados, n =803 % de participants | Adultes, n=1014 % de participants | |
Je suis préoccupé envers mon poids | ||
Plus qu’avant la pandémie | 27 % | 34 % |
Identique à avant la pandémie | 60 % | 58 % |
Plus qu’avant la pandémie | 7 % | 5 % |
Je suis préoccupé par le poids de mon enfant | ||
Plus qu’avant la pandémie | – | 17 % |
Identique à avant la pandémie | – | 76 % |
Moins qu’avant la pandémie | – | 2 % |
Mes parents sont préoccupés envers mon poids | ||
Plus qu’avant la pandémie | 22 % | – |
Identique à avant la pandémie | 61 % | – |
Moins qu’avant la pandémie | 7 % | – |
Pour ce qui est de l’alimentation, environ la moitié des participants (48 % des ados et 46 % des adultes) ont rapporté qu’il leur arrive de manger pour des raisons émotionnelles plutôt que physiques, comme se sentir émotifs, seuls, stressés ou pour apaiser leurs émotions.
Les répercussions de la pandémie sur les perceptions et les préoccupations à l’égard de l’alimentation sont présentées au Tableau 3. Après la première année de pandémie, 20 % des personnes participantes rapportaient contrôler davantage la quantité consommée d’aliments, 26 % étaient davantage préoccupées par ce qu’elles mangeaient et 22 % ressentaient davantage des pressions à bien manger.
Caractéristiques des personnes participantes se disant davantage préoccupées
Les associations entre les caractéristiques des personnes sondées et les effets de la pandémie sur leurs préoccupations à l’égard du poids et de l’alimentation sont présentées aux Tableaux 4 et 5 respectivement. Nous n’avons pas observé de différence significative entre les adultes et les ados pour ce qui est de la préoccupation envers le poids depuis le début de la pandémie (RC = 1,33; IC à 95 % = [0,82-2,16]). Les adultes ayant un IMC ≥ 25 kg/ m2 étaient davantage préoccupés par leur poids depuis le début de la pandémie que les adultes ayant un IMC < 25 kg/m2 (RC = 1,50; IC à 95 % = [1,19-1,88]). De plus, se percevoir comme étant trop gros et se soucier de son poids (exprimer le désir de perdre du poids, avoir des réflexions négatives sur le poids) étaient associés à une plus grande préoccupation à l’égard du poids, tant chez les ados que chez les adultes. Chez les adultes uniquement, ces caractéristiques étaient également associées à une augmentation de la préoccupation à l’égard de l’alimentation, du contrôle exercé sur l’alimentation et de la pression ressentie pour bien manger.
Nous n’avons pas observé d’associations entre le genre de la personne et une plus grande préoccupation envers le poids ou l’alimentation. Une exposition accrue aux réseaux sociaux était positivement associée à une plus grande préoccupation chez les adultes et les ados, l’association n’étant pas significative pour les ados.
Tableau 3. – Effets de la pandémie sur les perceptions et préoccupations liées à l’alimentation rapportées par les ados et les adultes du sondage
Ados, n =803 % de participants | Adultes, n=1014 % de participants | |
Je contrôle la quantité d’aliments que je mange | ||
Plus qu’avant la pandémie | 20 % | 20 % |
Identique à avant la pandémie | 62 % | 66 % |
Moins qu’avant la pandémie | 15 % | 13 % |
Je fais des excès alimentaires | ||
Plus qu’avant la pandémie | 18 % | 19 % |
Identique à avant la pandémie | 64 % | 61 % |
Moins qu’avant la pandémie | 11 % | 17 % |
Je suis préoccupé par ce que je mange | ||
Plus qu’avant la pandémie | 23 % | 26 % |
Identique à avant la pandémie | 62 % | 63 % |
Moins qu’avant la pandémie | 8 % | 8 % |
Je ressens de la pression pour bien manger | ||
Plus qu’avant la pandémie | 26 % | 22 % |
Identique à avant la pandémie | 62 % | 68 % |
Moins qu’avant la pandémie | 7 % | 7 % |
Je me réconforte avec la nourriture | ||
Plus qu’avant la pandémie | 17 % | 18 % |
Identique à avant la pandémie | 66 % | 66 % |
Moins qu’avant la pandémie | 10 % | 11 % |
Je me sens coupable de ne pas manger mieux | ||
Plus qu’avant la pandémie | 22 % | 26 % |
Identique à avant la pandémie | 64 % | 63 % |
Moins qu’avant la pandémie | 7 % | 9 % |
Je suis préoccupé envers les comportements alimentaires de mon enfant | ||
Plus qu’avant la pandémie | – | 24 % |
Identique à avant la pandémie | – | 69 % |
Moins qu’avant la pandémie | – | 1 % |
Mes parents sont préoccupés par mes comportements alimentaires | ||
Plus qu’avant la pandémie | 27 % | – |
Identique à avant la pandémie | 58 % | – |
Identique à avant la pandémie | 6 % | – |
- Les rapports de cote (RC) non ajustés sont présentés ; ces derniers demeuraient significatifs après ajustement pour l’IMC
Tableau 4 – Associations entre les caractéristiques des personnes participantes et l’effet de la pandémie sur leurs préoccupations liées au poids
Plus préoccupés par leur poids | ||
RC [IC 95 %]1 pour la comparaison vs « pas plus préoccupés ou moins préoccupés par leur poids (groupe de référence) » |
||
Ados | Adultes | |
Genre, femme vs homme | 1,34 [0,52-3,46] | 0,98 [0,93-1,03] |
Revenu familial total brut > 80 000 $ vs ≤ 79 999 $ |
0,66 [0,25-1,80] | 1,05 [0,85-1,30] |
Scolarité des parents, niveau universitaire vs ≤ collégial |
1,14 [0,37-3,51] | 1,21 [0,96-1,52] |
Indice de masse corporel, ≥25 kg/m2 vs <25 kg/m2 |
2,87 [0,91-9,01] | 1,50 [1,19-1,88] |
Perception du poids, trop gros vs non | 3,97 [1,42-11,08] | 2,03 [1,63-2,52] |
Désir de perdre du poids, oui vs non | 5,16 [1,85-14,39] | 2,95 [2,32-3,75] |
Réflexions négatives envers le poids (être malheureux ou être angoissé), oui vs jamais |
9,28 [1,85-46,56] | 5,24 [3,69-7,45] |
Obsession envers le contrôle du poids, oui vs jamais |
7,41 [2,18-25,21] | 2,41 [1,91-3,03] |
Manger pour des raisons émotionnelles |
4,35 [1,52-12,41] | 3,05 [2,48-3,76] |
Exposition accrue aux réseaux sociaux, oui vs non |
1,98 [0,66-5,95] | 3,24 [2,60-4,02] |
- Les rapports de cote (RC) non ajustés sont présentés ; ces derniers demeuraient significatifs après ajustement pour l’IMC
Discussion
Notre étude montre qu’après un an et demi de pandémie, environ le tiers des Québécoises et Québécois se disaient plus préoccupés à l’égard de leur poids (34 %) et de leur alimentation (26 %) qu’avant la pandémie. Le fait de se percevoir comme trop gros tout comme la tendance à se soucier du poids (désir de perdre du poids, réflexions négatives liées au poids, etc.) non seulement sont associés à des préoccupations plus marquées à l’égard du poids, mais prédisent chez les adultes une augmentation des préoccupations à l’égard de l’alimentation.
Quant à l’augmentation rapportée de la préoccupation à l’égard du poids durant la pandémie (34 % des adultes et 27 % des ados), nos résultats sont similaires à ceux publiés par l’Association pour la santé publique du Québec (ASPQ). L’ASPQ a mentionné que 34 % des adultes québécois questionnés en début de pandémie (fin mars 2020) étaient plus préoccupés par leur poids qu’avant la pandémie (10). Toutefois, un sondage réalisé en février 2021 par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) révèle que 43 % des adultes étaient davantage préoccupés par leur poids depuis le début de la pandémie (11). La prévalence plus élevée de préoccupations établie par ce dernier sondage pourrait s’expliquer par les mesures sanitaires plus strictes qui prévalaient alors comparativement à celles qui étaient en vigueur en août 2021 lorsque notre sondage a été réalisé.
À l’instar du sondage de l’ASPQ en mars 2020 (10), nos résultats ne montrent pas de différence dans les préoccupations liées à la pandémie selon le genre des participants. Ces résultats divergent toutefois de ceux d’autres sondages selon lesquels les femmes éprouveraient davantage d’insatisfaction corporelle (12), seraient davantage préoccupées à l’égard du poids (13) et de l’alimentation (13, 14) et manifesteraient des comportements alimentaires restrictifs (15) depuis le début de la pandémie.
Chez les adultes, l’IMC était associé positivement à une augmentation des préoccupations à l’égard du poids pendant la pandémie (en plus de la perception de leur poids). Dans une étude menée auprès d’adultes libanais, Haddad et collaborateurs ont observé une association positive entre l’IMC et les préoccupations à l’égard du poids depuis le début de la pandémie (13). Ces auteurs ont noté que les participants qui fréquentaient une clinique de perte de poids se disaient davantage préoccupés à l’égard du poids et de l’alimentation depuis le début de la pandémie comparativement au reste de la population (13). D’un autre côté, les résultats de notre étude montrent plutôt une association entre la perception du poids et la préoccupation envers le poids chez les ados. Or, l’étude de Lessard et de ses collaborateurs a montré que les personnes avec un IMC ≥ 85e percentile rapportaient une plus grande augmentation de l’insatisfaction corporelle depuis le début de la pandémie (16).
Tableau 5 – Association entre les caractéristiques des personnes participantes et l’effet de la pandémie sur leurs préoccupations liées à l’alimentation
Plus préoccupés par leur l’alimentation |
Exercent plus de contrôle sur leur alimentation |
Ressentent plus de pression pour bien manger |
||||
RC [IC 95 %]1 pour la comparaison vs « pas plus » ou « moins » |
||||||
Ados |
Adultes |
Ados |
Adultes |
Ados |
Adultes |
|
Genre, femme vs homme |
1,56 [0,57-4,28] |
1,01 [0,99-1,04] |
1,27 [0,49-3,27] |
1,01 [0,99-1,04] |
1,41 [0,54-3,70] |
0,96 [0,84-1,10] |
Revenu familial total brut |
0,86 [0,30-2,51] |
0,98 [0,78-1,23] |
0,86 [0,32-2,33] |
0,94 [0,75-1,17] |
0,89 [0,32-2,45] |
0,90 [0,71-1,15] |
Scolarité des parents, niveau universitaire vs ≤ collégial |
1,05 [0,32-3,42] |
1,18 [0,92-1,51] |
0,95 [0,30-2,99] |
1,19 [0,93-1,51] |
0,85 [0,26-2,75] |
1,06 [0,82-1,38] |
Indice de masse corporel, ≥25 kg/ m2 vs <25 kg/m2 |
1,38 [0,40-4,79] |
0,93 [0,73-1,17] |
1,61 [0,50-5,20] |
0,94 [0,75-1,19] |
2,25 [0,71-7,12] |
0,85 [0,66-1,09] |
Perception du poids, trop gros vs non |
1,67 [0,57-4,87] |
1,32 [1,05-1,65] |
1,68 [0,61-4,68] |
1,13 [0,91-1,40] |
2,00 [0,72-5,59] |
1,31 [1,03-1,66] |
Désir de perdre du poids, oui vs non |
2,45 [0,87-6,92] |
1,55 [1,22-1,97] |
2,00 [0,74-5,42] |
1,72 [1,36-2,18] |
2,38 [0,87-6,51] |
1,38 [1,07-1,77] |
Réflexions négatives envers le poids (être malheureux ou être angoissé), oui vs jamais |
3,02 [0,85-10,80] |
2,46 [1,80-3,38] |
2,76 [0,87-8,73] |
2,59 [1,90-3,53] |
3,53 [1,02-12,17]2 |
3,09 [2,14-4,46] |
Obsession envers le contrôle du poids, oui vs jamais |
3,66 [1,17-11,47] |
2,24 [1,75-2,87] |
3,06 [1,09-8,59] |
2,01 [1,59-2,55] |
2,81 [0,99-7,94] |
1,85 [1,43-2,39] |
Manger pour des raisons émotionnelles plutôt que physiques, en accord vs neutre ou en désaccord |
1,77 [0,64-4,89] |
2,13 [1,71-2,65] |
1,75 [0,67-4,57] |
1,98 [1,60-2,46] |
2,50 [0,92-6,78] |
3,57 [2,80-4,55] |
Exposition accrue aux réseaux sociaux, oui vs non |
1,49 [0,49-4,54] |
1,77 [1,41-2,21] |
1,46 [0,51-4,18] |
1,25 [1,01-1,56] |
2,33 [0,75-7,23] |
1,86 [1,46-2,35] |
- Les rapports de cote (RC) non ajustés sont présentés ; les associations significatives le demeuraient après ajustement pour
l’IMC sauf indication - Cette association n’était plus significative après ajustement pour l’IMC
La crise sanitaire créée par la COVID-19 et les mesures pour freiner la pandémie peuvent avoir exacerbé la préoccupation à l’égard du poids et de l’alimentation, plus particulièrement chez les personnes se disant déjà préoccupées ou insatisfaites à l’égard de leur poids. D’une part, le confinement à la maison, l’isolement social et le stress (solitude, crainte de contracter la maladie, conciliation de l’école à distance et du télétravail, etc.) peuvent avoir modifié les habitudes alimentaires et d’activité physique de la population (1-3, 15, 17). Malgré la pandémie, certaines personnes participantes à notre étude, bien qu’en faible proportion, rapportaient des changements considérés positifs. Par exemple, 13 % des personnes mentionnaient ne pas contrôler autant la quantité d’aliments consommés et 7 % disaient ressentir moins de pressions à bien manger.
D’autre part, l’augmentation de la stigmatisation liée au poids depuis le début de la pandémie, particulièrement sur les réseaux sociaux, peut exacerber la préoccupation des gens à l’égard du poids corporel, tel est le constat de Rebecca Pearl, docteure en psychologie, dans sa revue de littérature de 2020 (18). Les caricatures grossophobes sur la prise de poids et certains comportements alimentaires (consommer de la malbouffe, manger ses émotions, etc.) sont omniprésents sur les médias sociaux ; ces publications entretiennent des perceptions erronées à l’égard du poids (18). Par ailleurs, les publications alarmistes sur les graves complications de la COVID-19 associées au surpoids (19) ont pu contribuer à cette stigmatisation.
Les résultats de notre étude révèlent qu’une plus grande exposition aux réseaux sociaux lors de la pandémie était associée à une augmentation des préoccupations à l’égard du poids et de l’alimentation, notamment chez les adultes. En s’intéressant plus particulièrement à la stigmatisation sur les réseaux sociaux, Lessard et collaborateurs ont montré que plus de 60 % des ados ayant été davantage exposés à la stigmatisation sur les réseaux sociaux depuis le début de la pandémie ressentaient une plus grande insatisfaction à l’égard de leur corps (16). Une étude auprès d’adolescentes et de jeunes femmes en Espagne a montré une association positive entre la fréquence d’utilisation d’Instagram pendant la pandémie et le désir d’être plus mince (20). D’ailleurs, il a été remarqué qu’à peine sept jours après le début des restrictions sanitaires, les personnes qui étaient davantage exposées aux publications des médias sur la COVID-19 rapportaient davantage d’épisodes de perte de contrôle alimentaire (15).
Nous ignorons les effets à long terme de la pandémie sur les préoccupations et les comportements alimentaires à l’échelle de la population. Néanmoins, nos résultats témoignent de changements importants dans les préoccupations de Québécoises et Québécois qui se répercuteront probablement sur la pratique des professionnels de la santé. Les diététistes-nutritionnistes pourraient être appelés à aborder avec leur clientèle l’insatisfaction corporelle et la relation à la nourriture. Les personnes préoccupées par leur poids ont tendance à suivre des diètes ou à utiliser diverses méthodes pour contrôler leur poids (utilisation de produits amaigrissants, entre autres) (21). Il importe plus que jamais d’accueillir les préoccupations à l’égard du poids avec bienveillance, de transmettre des messages inclusifs et déculpabilisants et de miser sur le développement d’une relation saine avec la nourriture.
Notre étude comporte certaines limites. Les effets de la pandémie ont été évalués rétrospectivement, d’où un possible biais de rappel. De plus, le sondage a été réalisé lors d’une période où les mesures sanitaires étaient moins strictes ; par conséquent, certaines associations relevées durant l’analyse des résultats auraient pu s’accentuer lors des vagues subséquentes de confinement. Dans le même ordre d’idées, les données de cette étude ne permettent pas de savoir si l’augmentation des préoccupations à l’égard du poids et de l’alimentation sont liées au confine- ment ou au déconfinement (le fait de revoir ses collègues de travail en personne après une longue période de télétravail, entre autres). Finalement, comme les données du sondage sont autorapportées, un biais de désirabilité sociale peut être présent. L’une des forces de cette collecte de données est la grande variabilité des caractéristiques sociodémo- graphiques des participants ainsi que la pondération des données qui reflètent la population québécoise.
Conclusion
Cette étude souligne l’augmentation des préoccupations à l’égard du poids et de l’alimentation de Québécoises et de Québécois après le début de la pandémie de COVID-19, notamment chez les personnes déjà soucieuses de leur poids. Les diététistes-nutritionnistes joueront un rôle déterminant dans la déconstruction des mythes relatifs au poids et à la santé et dans le développement d’une relation saine avec la nourriture, tant auprès de la population qu’auprès des autres professionnels de la santé.
Remerciements
Nous tenons à remercier les membres du comité ayant collaboré au développement du questionnaire utilisé dans le sondage d’ÉquiLibre : Angela Alberga, professeure adjointe, Département de santé, Kinésiologie et physiologie appliquée, Université Concordia ; Annie Aimé, professeure et responsable du programme de maîtrise en psychoéducation, Département de psychoéducation et de psychologie, Université du Québec en Outaouais ; Catherine Bégin, Ph.D., professeure titulaire, École de psychologie, Université Laval ; Jacinthe Dion, Ph.D., professeure, Département des sciences de la santé, Université du Québec à Chicoutimi, cotitulaire de la chaire VISAJ ; Josée Gagnon, conseillère en évaluation ; Laurence Sauvé- Lévesque, inf., M.Sc., analyste aux politiques publiques, Coalition québécoise sur la problématique du poids ; Marie- Claude Paquette, Dt.P. Ph.D., conseillère scientifique à l’Institut national de santé publique du Québec, professeure associée au département de nutrition de l’Université de Montréal ; Marie-Ève Blackburn, Ph.D., chercheure à ÉCOBES – Recherche et transfert, Cégep de Jonquière, cotitulaire de la Chaire VISAJ ; Marie-Pierre Gagnon-Girouard, Ph.D., professeure en psychologie de la santé, Université du Québec à Trois-Rivières ; Véronique Gingras, Dt.P., Ph.D., professeure adjointe, Département de nutrition, Université de Montréal, Centre de recherche CHU Sainte-Justine
Ressources
- L’organisme ÉquiLibre offre plusieurs formations destinées aux professionnels de la santé de même que de nombreux outils d’intervention pour favoriser le développement d’une relation positive avec le corps et la nourriture (www.equilibre.ca)
- Bien avec mon corps (www.bienavecmoncorps.com)
- Anorexie et boulimie Québec (www.anebquebec.com)

À propos des auteures

Catherine Savard, Dt.P.
Candidate à la maitrise en nutrition, Université
de Montréal et Centre de recherche du CHU
Ste-Justine

Andrée-Ann Dufour Bouchard
Dt.P., M. Sc.
Cheffe de projets, ÉquiLibre

Anouck Senécal, Dt.P., M.Sc (cand.).
Coordonnatrice, Clinique universitaire de nutrition,
Université de Montréal

Véronique Gingras Dt.P., Ph. D.
Professeure adjointe, Université
de Montréal, Chercheure, Centre
de recherche du CHU Ste-Justine
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